Le nucléaire se met à la recherche

En France , la production d’électricité par le parc de réacteurs nucléaires d ‘EDF est désormais bien huilée. Pourtant, la recherche de combustibles plus rentables et produisant moins de déchets, de matériaux plus sûrs et plus solides, est permanente. Non seulement pour des applications quasi immédiates, mais également pour concevoir les systèmes de production à venir. Dans ce domaine, les réacteurs de recherche du CEA s’affichent comme des outils expérimentaux incontournables.
Ces réacteurs permettent de reproduire ce que subissent le combustible et les matériaux d’un réacteur industriel en fonctionnement et de prédire leur comportement dans le temps. Ainsi, dans ces réacteurs, la réaction en chaîne de fission, source de l’énergie nucléaire, a bel et bien lieu. En revanche, l’objectif n’est pas de produire de l’électricité : la puissance dégagée est trop faible et le réacteur n’est pas doté des systèmes de conversion de la chaleur en électricité.

A chaque réacteur sa spécialité

Au CEA, il existe onze réacteurs de recherche, chacun ayant sa spécialité. Parmi eux, Osiris, à Saclay, permet l’étude des matériaux et des combustibles sous irradiation. Masurca, Éole et Minerve, à Cadarache, sont dédiés à l’étude et à la mise au point du coeœur du réacteur. Phébus et Cabri, aussi à Cadarache, regroupent les recherches sur la sûreté nucléaire, pour le compte de l’IRSN. Enfin, Phénix, à Marcoule, sert aux expériences dédiées aux systèmes du futur et à la transmutation.
Osiris est un réacteur de 70 mégawatts de puissance thermique. Combustibles, matériaux des composants d’un réacteur, comme la cuve ou la gaine enserrant le combustible, y sont soumis à rude épreuve. Placés dans des dispositifs expérimentaux au milieu ou à proximité du coeur, ils sont irradiés sur des durées de quelques heures à quelques années par un flux de neutrons rapides et/ou thermiques. Pour les matériaux, cela simule les quarante ou soixante ans de flux de neutrons thermiques auquel ils sont soumis dans les réacteurs industriels d’EDF. Les données recueillies permettent ensuite de prévoir le vieillissement (voir “À Savoir”) des éléments testés, de les améliorer ou d’en qualifier de nouveaux. Pour les combustibles, il peut s’agir d’essais très courts, représentatifs de ce qu’ils subiront en réacteur. Une instrumentation très performante permet alors de suivre leur état et leur comportement.

 

Tester les performances du combustible et des matériaux

Tester physiquement les briques d’un réacteur nucléaire ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir compter sur des données précises concernant la réaction de fission. Pour cela, des expériences de neutronique sont réalisées dans les trois réacteurs de recherche Masurca, Éole et Minerve. Il s’agit en fait de réacteurs de très faible puissance : la réaction de fission est maintenue à un niveau très bas. Ainsi, Éole et Minerve ne fonctionnent qu’à une puissance de 100 watts, soit l’équivalent d’une ampoule électrique ! Celle de Masurca est inférieure à 5 kW. Grâce à eux, il est possible de simuler différents types de cœurs des réacteurs industriels. Cela va des coeurs pour réacteurs à neutrons thermiques et à eau pressurisée (REP) ou bouillante (REB) dans Éole (des codes de calcul pour les REB nippons sont en cours de qualification, à la demande du JNES) à ceux pour réacteurs à neutrons rapides à sodium ou à gaz dans Masurca. Ce dernier permet aussi l’étude de la transmutation des actinides mineurs, dans le cadre de la loi de 1991 sur la gestion des déchets nucléaires de haute activité et à vie longue. Minerve, quant à lui, est principalement utilisé pour les mesures de sections efficaces des matériaux constitutifs des coeurs. Récemment, elle a permis de modifier un code de calcul utilisé pour les coeurs des REP d’EDF. De par sa nature même, la filière nucléaire impose des études approfondies sur la sûreté. C’est pourquoi deux réacteurs de recherche du CEA à Cadarache, Phébus et Cabri, lui sont entièrement consacrés. Ils permettent de simuler des accidents. Pour Phébus, les essais consistent à provoquer et étudier la dégradation jusqu’à la fusion d’un échantillon d’une vingtaine de crayons combustibles. Dégradation qui peut avoir lieu après une rupture du circuit primaire de refroidissement d’un REP.

Des études approfondies sur la sûreté

Ces essais permettent également de mesurer les quantités et la nature des produits radioactifs libérés dans ce même circuit primaire, jusque dans l’enceinte du réacteur, maquettés à l’échelle 1/5000e. Ces circuits expérimentaux sont installés dans un caisson étanche de 350m3 et disposent d’une imposante instrumentation (environ 500 capteurs). Les expériences nécessitent une longue préparation et des opérations lourdes de décontamination de l’installation après essai. Elles n’ont donc lieu que tous les trois ans. Cabri simule des accidents associés à des variations intempestives de la réactivité du coeur. Il s’agit, par exemple, de pics de puissance localisés, liés à une remontée anormale d’une barre de contrôle. Le combustible situé proche de cette barre subit alors de fortes contraintes thermiques et mécaniques. Dans Cabri, en général, un seul crayon combustible est testé et soumis au flux de neutrons du réacteur. Celui-ci est équipé de barres remplies d’un gaz (l’hélium 3) sous pression. En relâchant rapidement ce gaz, le réacteur passe d’une puissance de quelques kilowatts à près de 20 000 MW en quelques microsecondes ; puissance qu’il transmet instantanément au combustible d’essai ! Des capteurs permettent de suivre en direct le comportement du crayon combustible à cette brusque décharge. Moins lourdes que dans Phébus, ces expériences peuvent avoir lieu environ tous les trois ou quatre mois. Du moins quand Cabri est opérationnel. Initialement conçue pour l’étude des accidents dans les réacteurs à neutrons rapides, l’installation est, en effet, en cours de modification afin d’être plus représentative d’un REP. Reprise des tests en 2007.

 

A savoir :

L’une des causes de vieillissement des matériaux sous irradiation est l’accumulation de défauts due au déplacement des atomes. En effet, un atome frappé par un neutron peut être éjecté de son emplacement délogeant au passage ses voisins, qui percutent à leur tour les atomes les plus proches.
Un seul impact suffit à déplacer plusieurs milliers d’atomes.

Calculs et expériences intimement liés
Prolonger le fonctionnement des réacteurs et développer de nouvelle génération, concevoir des stockages de déchets exigent des moyens puissants et fiables…

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